Accueil Culture «Le Citronnier malade » de Lassaad Ben Abdallah : La Marsa au fil du temps et des épreuves

«Le Citronnier malade » de Lassaad Ben Abdallah : La Marsa au fil du temps et des épreuves

« Le citronnier malade » est le deuxième livre de Lassaâd Ben Abdallah, acteur, metteur en scène et producteur de théâtre.         Il a déjà publié chez le même éditeur Contraste Éditions « La fin tragique du théâtre » en 2020.

La Presse — «Un automne 1942 »… Lassaâd Ben Abdallah a choisi d’inaugurer son premier roman vibrant de passion et de compassion en établissant le décor. Une histoire palpitante prend alors naissance à La Marsa depuis que c’était un village de pêcheurs et de cultivateurs, jusqu’au clap de fin en 2017, animée par des personnages denses et complexes dans leurs actions, leurs pensées et leurs prises de paroles.

«Le citronnier malade» est le deuxième livre de Lassaâd Ben Abdallah, acteur, metteur en scène et producteur de théâtre. Il a déjà publié chez le même éditeur Contraste Éditions «La fin tragique du théâtre» en 2020.

Ce roman est un récit s’étirant sur plusieurs époques révolues où fresques historiques, portraits sociologiques et épopées se mêlent, de quoi enthousiasmer le lectorat. On suit alors le destin de plusieurs personnages représentatifs de leurs générations diverses : Georges Hannouna alias Charlot, juif tunisien enterré en Israël, Tardozzi le vigneron italien qui a demandé la nationalité tunisienne, Betbet l’opportuniste qui a su profiter de certains faits historiques pour ramasser « une fortune qui aurait pu faire vivre des générations de Betbet », Sleh Malek qui s’est converti au christianisme et son idylle avec la vieille Slave Anouchka, elle qui était « une femme à vivre » et lui « un homme à fuir », Besma, Arbia, Wassila, Afifa et d’autres figures féminines cognant aux parois de leurs prisons…

La Marsa abrite un mélange où les étrangers, les aristocrates ou « Beldias », les faux « Beldias » ainsi que des délinquants et contrebandiers à l’image des frères Harbi, El Garbegi, Gigolo et bien d’autres se mêlent dans la dysharmonie totale.  Plus que des êtres de papier, Lassaâd Ben Abdallah est parvenu à les rendre vivants. Il propose également de découvrir certains événements et périodes historiques à travers leurs prismes. Le roman évoque la création des coopératives en 1962 et 1963, la  confiscation des terres des étrangers pour les nationaliser, la révision des lois de l’avortement et de tutelle,  les juifs qui fuyaient la Tunisie en transférant leur fortune ailleurs, la chaîne tunisienne qui a commencé à émettre, en 1966, les concerts de la diva Om Kalthoum quand des citoyens ont vendu leur poste de télévision pour s’offrir les billets,  les Palestiniens qui s’étaient exilés en Tunisie en 1982 à l’époque où les « fedayins » ont été accueillis par Madame Bourguiba en personne.. D’ailleurs, beaucoup de détails de la vie politique à l’ère Bourguiba ont servi de toile de fond au roman : les jeunes perspectivistes socialistes incarcérés, le musèlement de l’opposition estudiantine, la fin de Ben Salah et du collectivisme ainsi que l’arrivée du libéralisme sauvage…

Dans ce récit fictionnel, les personnages sont donc ancrés dans des repères véritables et engagés dans des actions et des émotions réelles. Des indices dispersés permettent une reconstitution mentale de La Marsa  comme évoquée par des fragments discontinus au fil des années, mais également du centre-ville avec les Arcades de l’avenue de France et la boutique de chaussures porte-bonheur jusqu’au Kef où s’est rendu un des protagonistes pour des études de théâtre. En effet, le réalisateur-écrivain puise son inspiration dans son parcours varié. Son empreinte d’homme de théâtre est bien présente. D’ailleurs, il évoque au début du récit les femmes qui sortaient pour voir les spectacles de la nouvelle troupe de théâtre. « Toutes les Tunisiennes ne parlaient que de la beauté du directeur et néanmoins comédien de la troupe : Aly Ben Ayed », a-t-il écrit.

« Le citronnier malade » est donc un voyage dans le temps, scrutant multiples facettes de La Marsa. Lassaâd Ben Abdallah y a exploré les décennies passées de sa région natale pour en tirer des détails captivants et romancés. Plusieurs intrigues reliées entre elles dévoilent avec subtilité les maladies insidieuses de la ville. « Les loups vont se manger entre eux. Il faut faire attention, choisir son camp et tirer son épingle du jeu », annonce l’un des protagonistes. Avec les groupes extrémistes en 2012, la contrebande, la crise économique qui frappe de plein fouet les salaires moyens, et les bandes hiérarchisées contrôlant chacune une surface déterminée de la ville, l’opportunisme s’annonce toujours le maître mot. À travers un jeu de masques, de songes et de mensonges,  l’écrivain a su rendre avec une acuité remarquable des scènes d’une forte puissance émotionnelle et rapporter une violence aussi bien réelle que percutante qui interpelle et pousse à une profonde réflexion sur le présent et sur l’avenir de la ville. « Peut-on vivre avec tant d’enfer dans le cœur et dans la tête ? », questionne Sleh Malek. La fin ouverte ne semble pourtant pas apporter une réponse.

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